Un lieu, une archive |
Le Pont de Trinquetaille (1875-1944), Arles.
Édité par le CARRÉ Gaillardot – Janvier 2017.
L’archive présentée ci-contre est une carte postale du début du siècle représentant le pont de Trinquetaille vers 1910. C’est en aval de l’antique pont romain, là où le fleuve est le moins large, que les différentes versions de pont de Trinquetaille ont pris place. Au-delà du lien qu ‘il permet entre les deux rives de la ville, le pont a toujours constitué un enjeu économique, véritable voie d’accès au terroir de la Camargue, ouvrant la Provence au Languedoc. Par simple bac à traille au Moyen-Age, puis ponts de bateaux souvent reconstruits, il faut attendre la fin du XIXème siècle pour voir émerger les premiers projets d’ouvrages fixes.
En 1834 un premier projet est présenté : un ouvrage en fonte et fer à trois travées de 47 m de portée, celle du milieu pouvant s´ouvrir pour laisser le passage aux embarcations. Sept ans plus tard, Marc Seguin fait une proposition de pont suspendu. Mais sa solution d´une seule pile médiane aurait nui à la navigation et l´idée n´est pas retenue. En juillet 1843, un concours pour la construction d’un pont suspendu est finalement lancé par le maire d´Arles. L’ouvrage doit permettre à l’axe routier Nîmes- Marseille de traverser le fleuve sans pour autant interagir sur le transport fluvial. Six études sont proposées par monsieur Carpediem, le Vicomte de Barrère du Molard, messieurs Oppermann et Joret, Pierre-Emile Martin, un anonyme et l’ingénieur Émile Bernard. Après soumission des projets au Conseil municipal, le choix se porte sur la solution d’Émile Bernard : un pont fixe métallique tubulaire à trois travées et deux piles. Ordonnée par décret en 1866, l’enquête publique a lieu du 13 au 22 juin 1867.
Sa construction commence en août 1867 par les fondations. Celles-ci réalisées par l’entreprise Castor sont terminées en début de l’année suivante. Le chantier s’interrompt avec la guerre de 1870 et ne reprend qu’en 1874. Les travaux sont confiés à l’entreprise Mison qui remporte en décembre 1873 le marché du pont. Les frères Imbert de Saint-Chamond sont chargés quant à eux de la charpente métallique de l’ouvrage (d´un poids de 610 tonnes). L´inauguration a lieu les 24, 25 et 26 avril 1875 et donne lieu à d’importantes festivités durant lesquelles la ville célèbre en grande pompe son premier pont métallique. Une organisation titanesque qui endettera la municipalité durant plusieurs années ; mais l’événement se voulait grandiose. Quelques pièces extraites des archives permettent de se faire une idée de cette joyeuse fête dont toute la Provence entendit parler. Le peintre Vincent Van Gogh immortalise l´ouvrage dans deux tableaux datant de 1888 : « Le pont de Trinquetaille », huile sur toile, juillet 1888, 65 x 81 cm. ; « Le pont de Trinquetaille », huile sur toile, octobre 1888, 72,5 x 91,5 cm, New York, collection particulière. L’ouvrage est un pont à treillis métallique de 164 m. de long et large de 7 m. Son tablier métallique tubulaire repose sur deux piles oblongues et des culées maçonnées en pierres de taille. Il soutient une voie charretière à double sens large de cinq mètres et bordée par deux trottoirs d’un mètre chacun.
Pour éviter tout déplacement longitudinal du tablier, il est alors interdit aux chevaux de trotter sur la chaussée. Le dessous du tablier contre les culées sont à 9,40 m au-dessus de l´étiage, soit à 5 m au-dessus des plus hautes eaux navigables et 2,84 m au-dessus de la plus grande hauteur à laquelle le fleuve est censé pouvoir s’élever sans rupture des digues. Des rampes d’accès maçonnées prolongent le pont dans son axe sur chaque rive ; toutes deux comportent un passage voûté en berceau en anse de panier, tel qu’il existe encore dans la rampe du pont actuel.
Dès novembre 1895, la situation du pont est jugée précaire et la circulation limitée. Le 25 novembre 1905, le Conseil Général des Bouches-du-Rhône décide de consolider l’ouvrage et d’élargir la voie routière par suppression des trottoirs intérieurs et l´installation de trottoirs extérieurs en encorbellement. En 1906, huit câbles de suspension sont mis en place pour renforcer l’ouvrage. Ils sont portés par des portiques métalliques montés sur les culées et au-dessus des piles, et sur lesquels un éclairage électrique est installé.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’inadaptation du pont face à l’augmentation du trafic conduit à de nouvelles études et projets de reconstruction. Aucun d’entre eux ne connaîtront de suite puisque le 15 août 1944, le pont de Trinquetaille – ainsi que le pont ferrovière – sont entièrement détruits par un bombardement aérien allié.
Il fallait réorganiser la traversée du Rhône ; on réinstalle alors un système de barques et de bateliers jusqu’à ce que le vapeur Jeanne d´Arc (en photo ci contre) assure les transbordements entre les deux rives. En juillet 1945, un pont provisoire est finalement mis en place et inauguré. Un an plus tard, le 6 août 1946, le marché de déblaiement des parties métalliques est emporté par la Société de Constructions des Batignoles qui procède au découpage et à la mise en dépôt sur les quais des restes de l´ouvrage. Ces travaux durent jusqu´en 1954.
Il faut attendre février 1951 pour voir inauguré le pont que nous connaissons encore aujourd’hui.