EXPOSITION
Depuis le 2 juillet, une création monumentale de 1000 m² en bambou construite sur les bords du Rhône par les architectes Simón Vélez et Stefana Simic accueille quarante photographies exclusives du moine bouddhiste Matthieu Ricard ; quarante clichés pris entre 1983 et 2017 et tirés sur papier japonais Awagami grand format. Le témoignage d’une vie entièrement dédiée à la spiritualité.
Matthieu Ricard, le photographe
Né en 1946, fils du philosophe Jean-François Revel, Matthieu Ricard réside actuellement au monastère de Shéchèn au Népal. Dès 1967, il voyage en Inde où il rencontre de remarquables maîtres spirituels tibétains, et devient en 1989 l’interprète français du Dalaï-Lama.
Son attrait pour l’image remonte au moment où il reçoit un Foca sport, un petit appareil argentique. « C’était vraiment le minimum. Je prenais des reflets dans des flaques. » Si ses parents ne sont pas emballés par le résultat sur papier, le garçon persévère. A dix-neuf ans, il rencontre Henri Cartier-Bresson. « Je lui ai montré mes portraits. » Nouveau verdict implacable pour son travail : « nul ! ».
Malgré les mauvaises critiques, Matthieu Ricard se retrouve – de par ses activités – indéniablement face « aux extraordinaires paysages de l’Himalaya, aux messes spirituelles et aux enfants au regard transparent ». Il choisit de continuer à « partager » ; une manière de faire prendre conscience « de la beauté de la nature à un moment où cet environnement est si menacé ». (…) « J’ai commencé la photo à l’âge de 13 ans. Depuis, j’ai toujours un appareil avec moi. J’ai fait le choix de ne jamais montrer la souffrance du monde mais de célébrer le courage, la résilience dont l’humanité est capable, même dans le plus grand dénuement. C’est un message d’espoir. On a souvent parlé de la banalité du mal, j’avais envie de rétablir l’équilibre en mettant en avant la banalité du bien. » (…)
Après cinquante ans de photos et une transition numérique, Matthieu Ricard mène désormais à temps plein une double vie de moine photographe. L’état d’esprit de l’artiste n’a rien à voir avec celui du moine en méditation. « La photographie est ma distraction préférée. C’est la manière la plus agréable de ne pas méditer ».
Foule de moines allant accueillir un grand lama, Népal, 1995. © Matthieu Ricard. – Cavalcade tibétaine, 2004. © Matthieu Ricard. – Moine tibétain, Inde, 2015. © Matthieu Ricard. – Moine Tibétain, Inde, 2015 ©Matthieu Ricard.
Un temple de bambous à Arles
Pour la mise en valeur de ces quarante photographies, il fallait un espace approprié, serein. C’est bien là que l’intervention de l’architecte colombien Simón Vélez prend tout son sens. Véritable institution dans son pays, Vélez connaît une renommée internationale en déclinant des structures complexes en bambou guadua, espèce endémique des vallées colombiennes. Il développe des assemblages de tiges de ce matériau peu cher et abondant, en collaboration étroite avec l’ingénieur-constructeur Marcelo Villegas. Depuis 30 ans, il construit pour des particuliers aussi bien que pour des entreprises, des municipalités ou de grandes administrations publiques.
« Nous ne venons pas des cavernes, nous ne sommes pas des troglodytes, nous venons des arbres et nous sommes des hommes des cimes, même si aujourd’hui nous vivons dans des cavernes. L’architecture actuelle suit un régime exagéré et malsain, elle est totalement carnivore. L’état de nature exige que nous revenions à un régime plus équilibré, plus végétarien… ». – Simón Vélez.
La démarche de Simón Vèlez est d’abord bioclimatique parce qu’il tient compte scrupuleusement des paramètres du site : « orientation, vents dominants, sol et sous-sol, ressources disponibles sur place et propres à déterminer les caractères dominants de la construction. Les bâtiments construits en bambou et en bois d’essences locales présentent évidemment des bilans favorables ou très favorables en termes environnementaux. » Aussi lorsque se pose la problématique de construire à Arles un espace d’exposition, force est de constater que l’architecture camarguaise des cabanes de gardian a largement influencé le dessin.
Simulation pavillon ® Simón Vélez
Croquis ® Simón Vélez
Croquis ® Simón Vèlez
Une cabane de gardian en Camargue – Mises en œuvre du toit de chaume. – « C’est dans l’utilisation et la mise en œuvre des ressources sur le terrain que se révèlent les caractères écologiques véritables d’une construction ». – Simón Vèlez.
Les extrémités sont arrondies pour limiter l’emprise au vent, le bâtiment est orienté nord-sud pour ne pas s’opposer au mistral, le toit est recouvert de chaume et ponctué de cheminés de ventilation naturelle.
Trois mille bambous guadua de quinze centimètres de circonférence et six mètres de long ont été nécessaires pour réaliser la structure portante. Le principe de réversibilité du bâtiment (puisque celui-ci est destiné à être démonté) a conduit à la mise en œuvre d’une structure maîtresse tubulaire acier sur laquelle vient s’appuyer les bambous ; un système ingénieux de « nœuds », poutres et plancher suspendu.
Le pavillon en cours d’édification. Photos Eric Bachy – Jan Dyver.
3000 troncs de 15 cm de circonférence sont assemblés selon une technique bien particulière. Photos : Eric Bachy – Jan Dyver- Jean-Marc Weill, Architecte, Ingénieur / CEO C&E Ingénierie des structures.
« C’est l’aspect fondamental du travail de travail de Simón Vèlez : dans les utilisations traditionnelles du bambou, les systèmes d’assemblage à l’aide d’éléments naturels ne permettent que des connexions très faibles. Ce qui est génial dans sa démarche, c’est qu’elle est high-tech avec des méthodes élémentaires. ». – (Pierre Frey, EPFL)- Photos : Jean-Marc Weill, Ingénieur Structure – Entreprise C&E (Construction & Environnement).
La mise en œuvre, comme le démontage dans trois mois, ont été remis à Vinci Construction ; un très beau chantier coordonné en particulier par Anne Visier-Espuny, compte tenu de la complexité logistique et les délais. L’intégralité des études d’exécution et la justification par le calcul de cette structure non conventionnelle a été menée par l’Entreprise C&E (Construction & Environnement) et son directeur Jean-Marc Weill, Ingénieur Structure.
Photo n-b : Stefana Simic et Simon Vélez – Photos Eric Bachy.
Le bambou Guadua
Le bambou guadua a été choisi pour sa résistance. Photo Jan Dyver.
« Il y a quatre-vingt-dix genres de bambous sur la planète, subdivisés en 1100 espèces, dont une bonne moitié vit en Amérique dans une zone comprise entre le Sud-Est des États-Unis et le Chili. Les bambous ligneux, qui nous intéressent ici comme matériau de construction, se divisent en neuf sous-groupes dont l’un comprend tous les types de bambou guadua. Ils sont spécifiés par le développement de leurs rhizomes, et par le fait que leurs tiges se lignifient en quatre à cinq ans. » (…)
« La guadua se plaît dans les sols instables; comme partout, elle y croît très rapidement et se développe aussi bien à l’air libre que dans le sol où ses rhizomes constituent un réseau si dense qu’il stabilise le terrain. Cet effet est spécialement apprécié sur les pentes escarpées et instables, exposées aux effets de l’érosion, et sur les rives des cours d’eau. » (…) « L’industrie de la construction est la plus grande consommatrice de ressources naturelles; et c’est probablement dans ce domaine que des impulsions environnementales peuvent avoir le plus grand impact. En tant que matériau de construction, la guadua présente une résistance équivalente à celle de l’acier. Par ailleurs, au cours de sa croissance, elle libère l’oxygène et capture du CO2. » – Simón Vélez.
Simón Vélez, le bambousero
L’architecte Simón Vélez est né en 1949 à Manizalès, en Colombie. Petit-fils de paysan chercheur d’or, fils d’architecte, il s’est formé à l’école du Bauhaus avant de renier l’architecture « carnivore », préférant tracer sa voie dans les profondeurs des bambouseraies. « Dans l’architecture moderne, il y a trop de verre et d’acier, trop de béton. Nous avons besoin d’un meilleur équilibre entre organique et minéral », s’exclame-t-il. S’il se revendique « végétarien », il nuance : « Je ne suis pas un intégriste, j’aime mixer les matériaux. C’est comme dans la nourriture, vous avez besoin de légumes et de protéines animales. »
Simón Vélez – La ville de Manizalès.
La puissance de ses créations dont il griffonne les esquisses aux crayons de couleur sur papier quadrillé, trouve ses racines dans sa propre histoire. Sa ville, initialement bâtie en bambou, fut en effet détruite par un incendie dans les années 30 et s’est vue colonisée par le béton importé d’Europe. Partant du constat que l’industrie de la construction est la plus grande consommatrice de ressources naturelles, l’architecte préconise un retour « à un régime plus équilibré, plus végétarien ». Précision et savoir-faire, main-d’œuvre importante, qualifiée et valorisée, usage réfléchi des ressources, technique et outillage simples orchestrent ses chantiers et les rendent exemplaires dans leurs empreintes sociales et environnementales. La démarche de Simón Vélez peut avoir valeur de modèle : elle préconise une architecture qui assume son enracinement dans les matériaux indigènes, tirés de la nature et peu transformés, et induit le respect du travail et de celui qui l’accomplit en valorisant l’échange des savoirs et la circulation des compétences.
Avec pour seuls outils un cahier Clairefontaine et des crayons de couleur, l’architecte colombien décline des structures complexes en bambou guadua (guadua angustifolia).
Le pragmatisme développé par Simon Vélez pour ses constructions en bambou est typique de toute sa démarche. Il agit de manière analogue, qu’il travaille le béton, d’autres espèces de bois ou l’acier. Il se défend d’ailleurs énergiquement d’être un bambousero et s’entend à merveille à distinguer les matériaux en leur assignant les fonctions les plus spécifiquement conformes à leurs performances. Il a ainsi su persuader ses clients les plus fortunés de se faire bâtir des résidences luxueuses, édifiées dans le matériau utilisé par les simples paysans. Il a également réussi à convaincre maintes grandes administrations publiques, municipalités ou entreprises soucieuses de leur empreinte environnementale d’adopter le bambou guadua et d’assumer l’image qui lui est liée.
Le travail de Simon Vèlez est largement déterminé par les conditions du climat tropical – équivalence immuable du jour et de la nuit, absence de saisons, luxuriance et diversité phénoménales de la végétation, y compris dans les altitudes élevées au climat frais -. Chez lui, comme pour les Colombiens, la botanique est une sorte de seconde nature, qu’il manie magistralement dans son travail.
Pierre Frey, historien de l’art et professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) – auteur d’un ouvrage sur l’œuvre et des méthodes constructives de Simón Vélez – insiste sur les qualités esthétiques de Vélez, loin de l’écologisme béat : « Il maîtrise la lumière, l’espace, la couleur et la forme, c’est indiscutablement de l’architecture ». Pour bâtir ponts, cathédrales ou villas, Simón Vélez plie à sa volonté ces tiges creuses, élaborant, en étroite collaboration avec l’ingénieur-constructeur Marcello Villegas, un système de fixation rendant la graminée à l’épreuve de la traction et de la compression. Il imagine une série d’assemblages de tiges de bambou et développe un savoir-faire à la fois très spécifique et d’une grande précision. Sa mise en œuvre est exigeante, mais d’un niveau technique suffisamment simple pour qu’il puisse l’appliquer dans des conditions de chantiers forains ne disposant que d’un outillage assez simple. L’optimisation de cette technologie est à la base de l’organisation de ses chantiers, où il opère à l’aide d’une importante main-d’œuvre qualifiée.
L’ingénieur-constructeur Marcelo Villegas (à gauche) et l’architecte Simón Vèlez.
L’architecte exploite les qualités intrinsèques de ce végétal quatre fois plus résistant que l’acier, mais douze fois plus léger. « Ce n’est pas le matériau miracle, il faut le travailler d’une certaine façon pour qu’il déploie tout son potentiel », ajoute l’architecte. Ainsi les chaumes (ou tiges) sont remplis, aux intersections, de mortier de ciment consolidé de barres d’armature. « Je suis un architecte des toits. Dans mon pays, c’est une protection très importante car il pleut beaucoup.» Ses charpentes, à la fois grandioses et subtiles, composent des tableaux abstraits par l’imbrication géométrique des tiges et l’adjonction de couleurs. Parfois, travaillées avec leurs rhizomes, elles évoquent de monstrueuses araignées.
Le pavillon de l’exposition universelle de Hanovre (2000).
Son œuvre la plus connue est un colossal pavillon de bambou installé à l’exposition universelle de Hanovre en 2000. Huit ans plus tard, il a élaboré à Mexico la construction éphémère Nomadic Museum, abri de l’exposition Ashes and Snow du Canadien Gregory Colbert. Réunissant deux galeries et trois salles monumentales sur 5130 mètres carrés, c’est la plus grande et la plus spectaculaire structure en bambou jamais construite.
El Nomadic Museum – Sous chaque demi-ferme, le bouquet de tiges de bambou guadua dont les rhizomes forment les chapiteaux.
Auréolé en 2009 du Prix du Prince Claus aux Pays-Bas, l’architecte fut reçu par le président colombien Alvaro Uribe qui l’a chargé de réécrire le code de la construction afin de revaloriser le végétal que l’on se préparait à interdire. La renommée de Simón Vèlez croît et prospère, tant ses valeurs concordent avec une époque revenue du modèle globalisé : mobilisation de la population, valorisation du travail de l’artisan, utilisation des ressources primitives du lieu, échanges de savoir-faire, équilibre entre techniques séculaires et modernité.
Le travail de Simón Vélez a aussi été remarqué lors de la biennale de Venise 2016.
UN PEU DE LECTURE
La Maîtrise du bambou // Simón Vélez architecte.
Actes Sud Beaux Arts – Hors Collection.
Mai, 2013 / 19,6 x 25,5 / 256 pages.
Monographie – bilingue français-anglais.
Traduit du français-anglais par Charles PENWARDEN.
ISBN 978-2-330-01237-3.
Prix indicatif : 39,00 €.
Avec cette monographie illustrée par des photographies de Deidi von Schaewen, Pierre Frey nous offre l’un des rares ouvrages sur ce créateur. Tout au long de ce portrait, textes et images nous font découvrir un panorama des édifices et des méthodes de construction de l’architecte colombien, relevant d’une architecture vernaculaire que l’auteur considère comme un « symptôme de l’état du monde et des sociétés qui le peuplent ».
Hymne à la beauté, de Matthieu Ricard (Photographies)
Broché: 200 pages
Editeur : La Martinière (23 avril 2015)
Collection : PHOTOGRAPHIE
Langue : Français
ISBN-10: 291946986X
ISBN-13: 978-2919469864
Dimensions du produit: 15,4 x 2 x 22,5 cm
Visages de paix – Terres de sérénité
Éditions de La Martinière – BEAUX LIVRES – Photographie
250 x 180 mm – 192 pages
15 octobre 2015 – 9782732469942
Prix indicatif : 25 €
Loin des couleurs chatoyantes de l’Himalaya, c’est un voyage en noir et blanc auquel nous convie Matthieu Ricard. Avec plus de 150 photos, l’ouvrage mêle les portraits des grands maîtres spirituels qui ont façonné sa pensée mais aussi les sourires de gens simples, des moines, des montagnards du Bhoutan, des femmes du Kham au Tibet oriental, des écoliers. Sans compter les formidables paysages du Népal, de l’Indonésie, de l’Islande et du Chili.
AUTOUR DE L’EXPOSITION CONTEMPLATION.
Des images imprimées et signées sur un papier japonais.
49ème Rencontres de la photographie d’Arles, du 2 juillet au 23 septembre 2018.
Site de l’ancienne gare maritime – Quartier de Tinquetaille.
Du lundi au dimanche, 10h à 19h30 / Tarif : 10 €.
L’exposition sera enrichie par deux soirées associant musique, lectures et méditation avec Mathieu Ricard ainsi que le piano classique de Maria Joao Pires, les 28 et 29 juillet au théâtre antique, en collaboration avec le festival de La Roque d’Anthéron.
Mécène d’honneur : VINCI Construction France.
Projet coproduit par les Rencontres d’Arles et le Fonds de dotation Contemplation.
Avec la collaboration de la Fondation Luma, du Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron, de la Ville d’Arles et de SNCF Immobilier.
Avec le soutien technique de JC Decaux, Marfret, FTPA AVOCATS, Myamo et Enlaps.
Publication : Contemplation (à paraître).
Tirages réalisés par Tirages Exposition – Pix in the City, Auray.
L’exposition s’inscrit dans le cadre de MP 2018, Quel Amour !